L'enherbement des vignes
Dans la série « La vigne pour les Nuls, explique moi tout mon Tintin » : L’enherbement
L’enherbement, voila bien un mot curieux pour le profane. Il faut le reconnaitre, au tout début de mon apprentissage du vin, je me suis de nombreuses fois posé la question: pourquoi y a t-il de l’herbe entre les vignes, ou des graminées ou du grand n’importe quoi avec plein de fleurs des champs, de l’herbe et toute sorte de plantes ? Et pourquoi dans certaines vignes, les inter-rangs ressemblent t-ils au désert du Nevada ? Et pourquoi sur un même terroir, certains viticulteurs laissent ils l’herbe pousser et d’autres non ? Les terroirs de galets roulés de Chateauneuf sont ils moins bons que les sols lourds de Pomerol parce qu’il n’y a pas d’herbe ? hein ? Qu’est ce que tu en dis mon Tintin ?
Je vais tâcher de répondre à cette question existentielle et de manière simple.
Préliminaire:
L’enherbement est souvent un choix pour mettre en œuvre une culture bio ou raisonnée ; il peut aussi être un « choix » imposé… manque de personnel, de moyens, de courage, de temps. Il y a peu de temps, un vigneron bien connu m’a dit: ‘Je n’ai jamais vu un pommier ne pas donner de pommes parce qu’il y avait de l’herbe aux pieds ».
C’est juste… aussi longtemps que la conduite de la vigne n’est pas dictée par une notion de rendements élevés et de vins bon marché. L’enherbement, il faut le savoir, à un cout et de nombreuses conséquences sur la vigne.
Définition: L’enherbement consiste à maintenir un couvert végétal entre les rangs de vignes (inter-rangs); ce couvert peut être permanent ou temporaire, implanté ou non sur tous les rangs, provoqué, entretenu et/ou subi.
1 inter-rang sur 2, enherbement volontaire contrôlé
Structure du sol, contrôle de la vigueur et du rendement de la vigne:
avantages et inconvénients de l’enherbement.1 >L’enherbement assure une protection du milieu (à l’heure de l’écologie, c’est plutôt pas mal); il permet effectivement d’assurer une bonne portance des sols et entraine de facto l’arrêt de l’usage de désherbants chimiques (bah oui, sinon l’herbe elle ne pousse plus..).
2 > la présence d’un système racinaire entre les rangs de vigne apporte de la matière organique: un écosystème favorable au développement de la faune et de la flore se met en place (vers de terre, souris, canard colvert, sauterelles, pigeons ramier sur lit de foie gras, coccinelles, abeilles, marmottes et autres petites bêtes à poils – des erreurs se sont glissées dans cette énumération, à vous de les retrouver)
3 > La mise en concurrence de la vigne avec le couvert végétal, principalement dans l’inter-rang et sur la profondeur de terrain colonisé par les racines dudit couvert, est notable. La vigne est donc « obligée » de s’établir plus en profondeur. Des études sérieuses ont montré que lorsque la vigne est en compétition et que le terrain le permet (absence de roche mère ou autres roches quasi impénétrables), le système racinaire de la vigne s’implante alors en profondeur. Si au contraire la vigne ne peut se développer en profondeur (ou très peu), le nombre de racines de la vigne se voit fortement réduit d’où une baisse plus ou moins drastique et permanente des rendements.
++ Cet effet est systématique, l’enherbement réduit la vigueur de la vigne et le poids des bois de taille (et donc la production).
++ Il réduit également les rendements avec un nombre de grappes par pied et/ou un poids moyen par grappe inférieur à une parcelle désherbée.
4 > on peut semer plein de choses qui sont plus ou moins en concurrence avec la vigne du genre: fétuques élevées, pâturin des prés, fétuques rouges, ray-grass anglais etc. avec des baisses de vigueur et de rendements de la vigne de 15 à 30% en fonction de l’éspèce semée !. Il faut noter que cette baisse de rendements est plus importante les 4/5 premières années d’enherbement car si la vigne à la possibilité de « plonger » dans le sol, les rendements et la vigueur de la vigne ré-augmentent une fois cette première période d’adaptation passée. La vigne reste néanmoins impactée par l’enherbement, mais dans une moindre mesure.
5 > le ruissèlement et l’érosion des sols sont réduits, les produits phytosanitaires ne sont plus emportés Dieu sait ou… enfin, on a pas de grands doutes sur la destination de tous ses produits…
6 > Les grappes sont moins denses, moins vigoureuses, les baies sont plus aérées: ce « microclimat « existant grâce à l’enherbement améliore l’état sanitaire des raisins et donc la vendange en luttant efficacement contre le développement de la pourriture grise (rapport moyen constaté de 1 à 5 / à une parcelle désherbée).
L’enherbement absorbe aussi les excès d’eau en cas de fortes pluies.
Bel exemple de Vignes enherbées « naturellement », sans intervention humaine.
Conclusion :
L’enherbement entraine une diminution des rendements et de la vigueur de la vigne d’où augmentation du degré potentiel du vin et baisse de l’acidité des mouts de raisin; pour faire simple (principalement sur les vinifications en rouge), on obtient à la finale dans le verre, des vins + fruités, + aromatiques, + structurés et dotés d’un potentiel de vieillissement supérieur… C’est + mieux quoi.
A noter et c’est important sur les productions de vins blancs.
l’enherbement trop important (en intensité) peut entrainer une diminution de la teneur azotée des moûts…
>> Et c’est quoi donc ça encore mon Tintin ?
Et bien, lorsque la vigne est trop en concurrence avec un couvert végétal, il y a moins d’azote dans le moût de raisin, ce qui pose des problèmes notamment pour la fermentation des vins blancs; en effet, on peut noter des ralentissements notables de la fermentation, des risques d’oxydation du moût et une augmentation de l’acidité volatile lorsque la vigne a été trop mise en concurence.
>> Et alors me direz vous ?
Et bien cela modifie notablement le gout du vin au final et ça, c’est quand même important non ? Dureté en bouche, odeurs de vieillissement, de réduction etc. ce n’est franchement pas terrible, sauf si vous êtes un inconditionnel du kir et là du coup, on s’en fout un peu, voire beaucoup…
Pour parer à ce problème de kir (insurmontable problème que ce breuvage à base de liqueur de cassis et généralement constitué de vin très bon marché juste bon à nettoyer les toilettes) de déficit d’azote, il suffit de procéder à une fertilisation azotée foliaire (par les feuilles) avant la véraison (c’est quand les grains de raisins changent de couleur) ou en début de fermentation alcoolique (quand les raisins sont rentrés en cave après la vendange). Globalement, c’est une technique qui marche bien si la carence en azote n’est pas trop importante.
Inter-rangs de vignes totalement enherbés – Tirecul La Gravière – Aout 2009
Pour tous ceux qui veulent gagner plein de points au Scrabble, notez ce mot: la fermentescibilité (des moûts de raisin); c’est simplement et en français, la capacité de fermentation d’un moût et ça fait toujours bien à ressortir dans une soirée mondaine ou au resto routier du coin…
>> Alors l’enherbement, c’est bien ou pas ?
Et bien ça dépend… de plein de choses mais surtout des objectifs recherchés, du terroir et bien sûr du climat. Il est évident que sur des terres arides telles que le vignoble de Castilla la mancha en Espagne ou la densité de pieds de vigne à l’hectare est ridiculement bas pour éviter toute concurrence entre chaque pied de vigne et pour pouvoir satisfaire le besoin hydrique de la plante, enherber une parcelle est une simple hérésie. A contrario, un sol argileux ou argilo-calcaire de Loire, par exemple, acceptera quant à lui l’enherbement: ne restera qu’à définir le niveau de concurrence tolérée (cf la contrainte azotée évoquée et la nature de l’enherbement supra) ou recherchée (baisse des rendements etc.).
Nul ne détient la vérité en la matière, mais force est de constater que cette pratique est quand même mise en œuvre sur les grands terroirs, sur les sols qui produisent de grands vins (à un coût certain et d’une qualité certaine), dans les vignobles septentrionaux et par des viticulteurs soucieux d’une agriculture raisonnée ou bio visant à réduire l’érosion des sols, le ruissèlement, le recours aux herbicides et autres produits phytosanitaires.
Bon, voila ce que je sais de l’enherbement…. en espérant avoir éclairé votre lanterne un tout petit peu.
Mais tu sais que tu dis des choses passionnantes mon Tintin. Tu sais que je cherches des animateurs pour animer des ateliers ?
Si je peux compléter avec quelques autres notions…
De tout temps, on a cherché à lutter contre l’herbe entre les rangs de vignes pour une simple et bonne raison : c’est par le contact entre l’herbe et les feuilles de vignes que se propagent les parasites et les maladies.
C’est pour cette raison que les vignerons éborgnent les gourmands sous la greffe et qu’ils évitent la propagation de l’herbe.
L’enherbement entre Septembre et Avril, tous les vignerons sont pour. Après ça se corse.
Si le vigneron opte pour l’enherbement, il essaye généralement de le maîtriser : soit tondre (il faut le faire souvent; c’est cher), soit passer le Rolofaca… Mais en règle générale, il opte quand même pour un désherbage à la racine (comme sur la photo de Tirecul la Gravière).
Du coup l’enherbement est plutôt pratiquée par des vignerons « agriculture raisonnée » parce que cela va souvent de pair avec ce désherbement de l’intercep. Les bios optent plutôt pour le travail des sols (labourage, cavaillonages) pour lutter contre la prolofération de l’herbe. Mais le travail des sols génère naturellement de l’azote, favorise le ruissellement et fertilise la terre… ce qu’on ne recherche pas. Et de toute façon plus tu passes dans les vignes avec ton tracteur, plus tu pollues… alors que si tu désherbes, tu ne passes qu’une fois. Bref rien n’est simple.
Bien sûr tu peux labourer à cheval (du coup ton prix de revient s’en ressent) ou proposer des journée « remise en forme binette » pour ce fameux intercep comme au domaine de la Chevalerie à Bourgueil. très intéressant, mais difficile à mettre en oeuvre sur la totalité du vignoble français.
Tu peux aussi enherber le milieu et labourer sous les ceps (genre Château Yvonne à Saumur) L’ennui c’est qu’il faut le faire souvent si l’année est fertile, en plus tu risque d’abimer tes ceps avec ton tracteur.
En plus les différents cépages sont plus ou moins résistants aux maladies. Le Chenin peut se permettre quelques herbes folles que le Melon de Bourgogne, plus sujets aux maladies cryptogamiques a plus de mal à accepter.
En plus notons que le Mildiou,Black Rot et autre pourriture grise se développe rarement en Provence ou en Italie… C’est un peu plus facile d’être bio en Languedoc que dans la vallée de la Loire.
Et tout ça pour dire que la technique universelle géniale, pas cher et pas polluante pour éviter les maladies n’a pas encore été trouvée…
Et bien du coup, je crois que cet article consacré à l’enherbement est à peu près complet ou tout du moins apporte un éclairage sur cette pratique. merci Jocelyn de tes lumières, je suis open pour un atelier point de croix 🙂
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Salut les amis. Passionné par cette question je puis vous dire qu’il existe près de 500 graines toutes familles confondus et que chacune d’entre elles apporte une solution a un problème: fixation des sols, développement de la biodiversité, engrais vert. Un bon enherbement c’est un enherbement réfléchis et adapté a chaque parcelle. C’est ce que je propose a mes clients ici en champagne et ce que j’enseigne a mes stagiaires. A bientôt.
Et Dieu m’est témoin que la Champagne a besoin de pratiques alternatives… je me souviens de mes années étudiantes à vendanger les genoux dans la gadoue d’ordures sur la montagne de Reims. Un réel plasir 😦
D’un autre côté, les vignes sans herbe, c’est pas mal non plus si le sol est labouré avec soin pour ne pas arracher le chevelu racinaire de l’année et si les vignes sont profondément enracinées dans un terroir de qualité, tu vois ce que je veux dire ? 🙂
Le probleme avec le labourage c’est qu’on ne peut le pratiquer n’importe où. Il serait completement fou de labourer dans des régions en coteaux. Le labourage permet aussi une chose à laquelle on ne pense que tres rarement, on donne de l’air a la terre par une telle pratique. Mais de quoi est composée l’iar? a 75% d’azote. un trop grand nombre de charrutage peuvent apporte une dose trop importante d’azote conduisant a des mout non stable. Les labour excéssifs peuvent aussi destructurer un sol, en faisant remonter en surface des bactérie qui ne font leur oeuvre que dans le milieu privé d’air et de lumiere. Je ne suis pas contre le labour mais je pense qu’on a oublier d’ecouter et d’observer nos vignes, c’est elles qui nous disent ce dont elles ont besoin.
Certes… c’est juste… je faisais le rapprochement avec un domaine que je connais qui est en bio, en biodynamie sur des terroirs qualitatifs qui n’ont jamais vu une once de produits chimiques et ou enracinement est profond et autorise le labour… 4 à 5 passages dans l’année pour les labours, pneus basse pression etc. pour les coteaux, reste le cheval 🙂
Claude Papin te racontera l’histoire suivante. « Les vieilles dames ont coutume de dire qu’un labourage vaut deux arrosages »
Et les vielles dames ont souvent raison… effectivement le labour conduit à replacer les oligo-éléments, l’eau à la surface… et ou vont-elles aller les racines ? hein ? beh elles vont aller en surface là ou il y a à manger… Donc selon Claude Papin (et l’INRA d’Angers qui est derrière Claude Papin), le labour ne conduit pas à bousiller les radicelles comme le suggère l’image d’épinal… mais contribue au contraire à en créer au lieu de favoriser l’enracinement en profondeur.
Ce n’est pas le labourage mais le binage qui vaut deux arrosages.. ce mot étant attribué au célèbre Olivier de Serres.
Pour ce qui du chevelu racinaire de l’année, Mon maitre à penser m’a confirmé aujourd’hui que cela développait le racinaire en profondeur et non en surface. Comme je n’ai pas la science infuse sur ce sujet, tu pourras passer au domaine pour discuter de ca avec lui si tu veux et du bien fondé de la théorie de ce Môssieur Papin…. mais je te préviens, 30 ans de labours, va falloir que tu es des arguments béton… 😉
C’est ça le binage. vivi.
Moi je veux bien organiser un débat entre Claude Papin-Chevalier et celle de Maître Jedi.
Si ça peut faire avancer le Schmilblick.
On verra en temps utile…
jeune Padawan en apprend tous les jours en attendant:-)
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